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« La démocratie et l’Évangile ne peuvent vivre qu’en milieu ouvert »

marion-muller-collardMarion Muller-Colard est pasteur dans l’Eglise réformée de France. Elle est aussi écrivain et théologienne. Son premier livre paru chez Labor et Fides, L’Autre Dieu, connaît un large succès depuis sa parution et a reçu deux prix. De nombreux lecteurs ont été conquis par un style magnifique et par la façon dont Marion Muller-Colard avait réussi à tricoter une réflexion spirituelle sur le livre de Job, une expérience personnelle avec sa propre confrontation avec le mal, et l’accompagnement d’hommes et de femmes confrontés à la question de la maladie, de la souffrance et de la mort dans le cadre de son ministère d’aumônier d’hôpital.
Elle vient décrire un second, Le Complexe d’Élie, toujours aus éditions Labor et Fides.
A cette occasion elle se prête à un interview. Ses propos sont recueillis par Antoine Nouis et visible sur le site protestant « Réforme »
Lorsqu’un prophète biblique et le maire d’une moyenne commune interpellent une théologienne dans ses choix de vie, cela donne un livre qui incite à ne pas laisser le politique aux professionnels.

On perçoit dans votre livre un parcours qui va du rejet de la politique au retour du politique, comment l’avez-vous parcouru ?
Tout dépend ce qu’on appelle « politique ». Si l’on parle de la scène politique française et de ses méandres actuels, je ne parlerais pas de rejet, mais de lassitude. Tendre l’oreille à droite, puis à gauche, espérer, adhérer, être déçue, me dire que je n’ai pas toutes les cartes en mains, me méfier des médias et finalement me méfier de tout discours, ne plus lire les programmes tant j’ai conscience qu’ils sont davantage le fruit d’une étude marketing que d’un véritable projet…
Oui, cette politique-là me lasse. Mais si j’entends « politique » dans son sens grec, repris par Hannah Arendt, à savoir le désir et l’effort que génère sans cesse le fait que nous sommes plusieurs, alors cette dimension politique de ma condition humaine, je ne peux ni la rejeter ni y revenir : je la vis, elle est ontologique à mon espèce.

Vous citez souvent Hannah Arendt, qu’a-t-elle apporté à votre vision de la politique ?
Elle m’a apporté la conscience de la dimension politique de toute vie humaine. On ne peut pas se soustraire à ce qu’elle appelle « la fragilité des affaires humaines ». Essayons de nous en prémunir, de la nier, de l’éloigner, et elle reviendra frapper à notre porte, nous convoquer invariablement. Ou alors : construisons une vie délibérément et exclusivement privée, ignorons la dimension publique de nos vies, et alors renonçons à jamais à nous réjouir, à nous révolter, à participer à quelque chose de plus vaste que notre seule vie individuelle. Il nous restera alors comme projet : la survie matérielle, l’affect qui nous lie à notre petit cercle relationnel, et le divertissement.

En quoi la rencontre avec celui que vous appelez Jo a-t-elle modifié votre regard sur la politique ?v Jo Spiegel est venu me chercher précisément à l’endroit de ma lassitude. J’entendais parler de lui, un « homme politique » dont on me disait essentiellement du bien, et tous mes marqueurs de méfiance et de cynisme étaient en alerte. J’ai accepté de le rencontrer pour une raison que je raconte dans le livre : lorsqu’il a pris l’initiative de notre premier contact, au téléphone, il a pleuré. Il était dans la fragilité, il cherchait ses mots. Il avait été touché par mon livre L’Autre Dieu. Il n’y avait pas de discours, mais de la chair, du souffle, de la subjectivité. Je n’avais pas « un homme providentiel » de plus devant moi. J’avais juste un homme qui assumait son tâtonnement, son émotion, sa fragilité. Et cela dessinait déjà une tout autre image de la politique. Plus un homme providentiel, mais chaque homme, chaque citoyen, porteur d’une part de providence.

Il faut mettre de la transcendance dans le politique, vous a dit Jo.
C’est lors de ce premier coup de fil qu’il m’a dit cette phrase énigmatique. À défaut de pouvoir dire avec fidélité ce qu’il entend par là, je peux dire ce que j’en retiens. La transcendance, c’est la conscience de se savoir traversé par quelque chose d’autre que soi. L’humilité de se savoir redevable – de savoir que je ne suis ce que je suis que parce que je suis « traversée ». Par Dieu, et par les autres : leurs propres inspirations, leurs visions, leurs colères, leurs désirs. Je fais souvent cette prière à Dieu en lui demandant de me compléter. La transcendance en politique, ce pourrait être d’adresser cette prière aux autres. Au lieu de « détenir » le pouvoir, le partager avec d’autres et leur dire : « Complétez-moi ».

Pourquoi avoir appelé votre livre Le Complexe d’Élie ?
C’est la parole d’Élie dans le désert qui m’a inspiré ce titre. Lorsqu’il désespère et dit : « C’en est trop ! Maintenant Éternel, prends ma vie, car je ne suis pas meilleur que mes pères. » (1 Rois 19,4). Je me suis dit : voilà bien le complexe de toute ma vie ! Ne plus rien oser entreprendre, car je ne sais pas comment m’y prendre. Mettre des enfants au monde dans l’angoisse que leur avenir soit pire que notre aujourd’hui, et ne pas savoir pour qui voter pour leur offrir un monde vivable… Alors, comme Élie, je me suis réfugiée dans une grotte. Avec mon mari, nous avons retapé une vieille grange de moyenne montagne, isolée dans une clairière, inaccessible en voiture. Par désir, mais aussi par défiance, par méfiance, par peur de l’avenir. C’est sur ce choix que je reviens.

Votre réflexion vous a-t-elle conduit à avoir un regard plus indulgent sur nos dirigeants politiques ?
Je ne suis pas une spécialiste de la vie politique. Ce que j’ai appris en côtoyant Jo, c’est que tout humain doit être à sa mesure un spécialiste de la vie politique. Or, nos dirigeants ne nous encouragent pas à cette participation, à cette responsabilisation. Il ne s’agit pas d’être indulgent ou pas, il s’agirait déjà, basiquement, d’être en relation. Si Jésus lui-même vient m’encourager à me tenir debout, me mettre en marche, assumer de prendre ma part et de dire « je », comment prendre au sérieux un leader qui ne me parle que de ses décisions pour essayer de me convaincre qu’il fait bien son boulot ?
Ce que je comprends, c’est qu’un véritable homo politicus est celui qui fait émerger, en chaque citoyen, un autre homo politicus. Nos dirigeants politiques font de la politique, et moi j’aimerais plutôt qu’ils fassent de moi une femme politique.

Quel lien faites-vous, au final, entre politique et spiritualité ?
Ce qui m’a fascinée dans nos échanges avec Jo, ce sont les analogies entre les maladies de la foi et les maladies de la vie politique. J’entends, dans ma lecture de la Bible, un Dieu qui partage avec nous le pouvoir, qui nous en croit dignes, qui nous désire responsables et je nous vois préférer construire une Église qui invente des dogmes, des hiérarchies, des spécialistes…
Tout un système qui, comme sur la scène politique, permet à ceux qui jouissent du pouvoir de jouir tant qu’ils peuvent, et à ceux qui, comme moi, souffrent du complexe d’Élie de se défausser. Il n’y a pas plus de spécialistes de Dieu que de spécialistes de la « fragilité des affaires humaines ». Ce sont de grandes affaires qui ne s’abordent qu’à plusieurs. Tous les plusieurs.
Jo dit que la démocratie n’est pas, elle naît. Elle est toujours à mettre au monde. J’ajoute que l’Évangile aussi, et c’est en cela que le christianisme ne peut pas être une religion. La démocratie et l’Évangile ne peuvent vivre qu’en milieu ouvert.
C’est ce qui fait, à l’un comme à l’autre, leur fragilité. Mais c’est ce qui conditionne leur puissance et leur pertinence. En démocratie comme en Évangile, il faut être toujours prêt à se laisser déranger et à se mettre à l’écoute d’autre chose que soi…

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Tenter de trouver avec notre prochain un terrain commun d’humanité
« Puissions-nous en ces moments entendre l’invitation de Dieu à prendre soin de ce monde, à en faire, là où nous vivons, un monde plus chaleureux, plus humain, plus fraternel. Un temps de rencontre, avec des proches, des amis : un moment pour prendre le temps de vivre quelque chose ensemble. Un moment pour être attentif aux autres, quels qu’ils soient. Un temps de partage de notre amitié, de notre joie. [...] Un temps de prière, aussi : attentifs à ce qui se passera dans notre monde à ce moment- là. Prions pour ceux qui en ont le plus besoin, pour la paix, pour un meilleur vivre-ensemble. »
Père Jacques Hamel
dans le bulletin paroissial de l’église Saint-Étienne, en juin, avant son assassinat
La compassion est en train de quitter notre monde

" "A ceux qui se demandent quel sorte de manque ronge silencieusement nos sociétés, il faut répondre : la compassion. Cette sollicitude spontanée que les bouddhistes appellent la maitrise et qui est assez proche, au fond, de l'agapê des chrétiens.
Aujourd'hui, on a beau prendre la réalité contemporaine par tous les bouts, une évidence crève les yeux : la compassion est en train de quitter notre monde. A petits pas. Insidieusement. Or, avec la compassion, c'est le bonheur de vivre qui s'en va. Disons même la gaieté.
Nos rires deviennent tristes. Notre sérieux est navrant. Nos prudences sont moroses. Nos "fêtes" sont sans lendemain. Nos plaisirs sont boulimiques et plutôt enfantins. Tout se passe comme si la frénésie jouisseuse de l'époque cachait une sécheresse de cœur et une stérilité de l'esprit.
La gaieté véritable, celle que nous sommes en train de perdre, c'est celle de l'aube, des printemps, des projets. Elle se caractérise par une impatience du lendemain, par des rêves de fondation, par des curiosités ou des colères véritables : celles qui nous "engagent".
Cette vitalité joyeuse ne doit pas être abandonnée à la contrebande des amuseurs médiatiques ou des clowns politiciens."

Paroles partagées par Jean-Claude Guillebaud en conférence en 2015 à Briec-de-l'Odet (29).