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Petite méditation pascale… L’Évangile est une semence pour une terre de liberté…

lima-da-silvaLa théologienne et bibliste catholique brésilienne Silvia Regina de Lima Silva réside et travaille au Costa Rica. Elle est la coordinatrice de l’Assemblée continentale latino-américaine de Mission 21. Son cheminement l’a conduit à réfléchir sur la théologie dite aujourd’hui « féministe » qui a d’abord été une théologie élaborée du point de vue des femmes et se situait dans l’horizon de la théologie de la libération. Cette théologie a procédé ultérieurement à une révision plus fondamentale de ses concepts dans le cadre de la théorie du « genre ». Aujourd’hui, elle se fait « théologie du quotidien, théologie du corps et du cœur, théologie des retrouvailles avec l’univers, pluriculturelle et œcuménique ».
Voici un extrait de la réflexion de Regina de Lima Silva donnée dans le cadre plus large d’une intervention « L’Évangile est une semence pour une terre de liberté » à Madrid en novembre 2015.

« …Je viens de la théologie noire féministe d’Amérique latine. Dans notre travail épistémologique et théologique, la première étape de toute réflexion est de savoir à partir de quel lieu nous parlons. Écrasées et rendues invisibles par les discours théologiques patriarcaux et ethnocentriques qui historiquement ont masqué nos expériences de Dieu, nous avons compris qu’il faut toujours au point de départ préciser le lieu à partir duquel nous prenons la parole pour la partager…
… avant de commenter ce dernier texte (ndlr Jean 20), je voudrais partager une expérience de mes premières années de théologie.
Quand j’ai commencé mes études, ma motivation était et est toujours de “penser Dieu en tant que femme noire”. Puis, avec mes premiers cours de théologie, j’ai vite senti à quel point les chemins de la réflexion étaient étroits et combien il était difficile de marcher sur ces chemins et ces passages qui n’ont pas été pensés pour notre corps, nos corps de femmes, et moins encore de femmes noires.
Cela a révélé en moi le besoin et le désir de relire les évangiles à partir de ces failles, de ces espaces non domestiqués, non colonisés; et même plus, de récupérer les expériences qui ouvrent la voie à du neuf et renforcent les alternatives que nous traversons.
resurrection… Il y a des années que je pense que nous avons besoin d’une théologie qui sente la terre mouillée, “qui connaisse” la fraîcheur d’une laitue ou celle du bain qu’on vient de prendre. En pensant la théologie de cette manière, je me souviens d’un texte biblique, qui a été une source de grande inspiration et qui aujourd’hui continue à nous combler de joie et d’espérance. Je conclus donc par une brève réflexion sur ce texte qui raconte la rencontre de Marie Madeleine avec le Christ ressuscité (Jean 20,1-18). Je vais reprendre quelques symboles bien présents dans le texte. Comme pour les textes précédents, voici de quoi inspirer une ecclésiologie marquée par l’amour, l’engagement, la liberté.

Le récit [2] (Jn 20,1-23) est sans doute une combinaison de divers matériaux en lien avec la résurrection de Jésus. Il y a au moins trois histoires différentes, deux récits de visite au tombeau et une christophanie à Marie Madeleine. Dans la première partie du texte (20,1-10) nous voyons la visite de Marie Madeleine au tombeau le premier jour après le sabbat, “à l’aube”, “alors qu’il faisait encore sombre”. Le texte continue avec la course de Pierre et du disciple bien-aimé au tombeau… linceul, linges pliés… des preuves suffisantes que le Seigneur avait disparu. “Ils ont vu, ils ont cru” et ils sont rentrés chez eux (v. 10), “ils sont retournés à leurs affaires” pourrait-on dire dans une traduction plus littérale. L’expérience des disciples se termine avec la vue des linges et du linceul dans le tombeau où avait reposé Jésus.
Marie Madeleine se trouve près du tombeau, à l’extérieur, et elle est en pleurs (v. 11). Que fait cette femme à cet endroit? N’était-il pas assez évident que l’homme qu’elle cherchait n’existait plus? Marie, allons… Marie, qu’espères-tu? Folle Marie. Têtue Marie. Tout a été dit. Tu ne comprends pas? Qu’est-ce que tu espères? Tout en pleurant, elle se baisse pour regarder dans le tombeau. Le texte utilise 16 verbes pour indiquer l’action directe de Marie Madeleine. Plusieurs de ces actions sont simultanées. En pleurant, elle se penche et regarde (v.12), ou ensuite “tout en parlant elle se retourne” (v.14), se retourne et parle (v.16). Marie pleure et attend. Une attente active. Une attente et une action pleines de larmes et d’amour.
On vivait une atmosphère de menace et de danger pour tous ceux et celles qui étaient identifiés en lien avec le Nazaréen crucifié, si près encore des jours de l’emprisonnement, de la crucifixion et de la mort de Jésus. Mais cette femme ne se soucie pas de ce qui pourrait arriver. En regardant dans le tombeau, Marie Madeleine ne voit pas ce qu’ont vu les disciples. Jean (l’évangéliste) utilise même des verbes différents pour décrire la vision des disciples et la vision de Marie Madeleine. Elle voit deux anges vêtus de blanc. Elle voit et elle écoute les anges, elle parle avec eux. Elle n’a pas peur… À aucun moment le texte ne parle de peur, comme dans les récits synoptiques. Ici, les anges et les humains, le ciel, la terre, la nature… tout se transforme en un beau jardin, où la nature et les anges seront les seuls témoins d’une rencontre d’amour très spéciale.
Une femme insistante. Celles qui passent par le chemin de la douleur profonde d’une absence, celles qui restent résolument, celles qui n’acceptent pas les évidences, qui continuent obstinément, elles reçoivent la révélation du Ressuscité et jouissent de sa présence. Il est là, si près d’elle. “Jésus lui dit : Marie”. Entendre son nom a suffi pour ramener dans sa mémoire et dans son cœur les sentiments, les rencontres passées, les gestes, la reconnaissance et l’amour. Il était là depuis le début. Présence-absence, présence cachée, maintenant révélée. Qu’est-ce donc que ce Jésus dont on ne peut pas percevoir immédiatement la manifestation? Le Ressuscité est maintenant bien “caché” dans le corps du jardinier (Jn 20,15), du pèlerin (Lc 24,15), de l’ami qui prépare le petit déjeuner pour ses compagnons (Jn 21,9-14). “Marie”, dit Jésus… “Maître”, répond-elle… Un maître avec un corps ressuscité : pour le reconnaître, il faut des oreilles de disciple. Dans cette rencontre il y a deux questions : “Pourquoi pleures-tu?” (20,13) et “Qui cherches-tu?” (20.15). La deuxième question est semblable à celle posée aux premiers disciples “Que cherchez-vous?” (Jn 1,38). Et la réponse de Marie Madeleine, “mon cher Rabbi”, montre l’immense amour de la disciple qui aime sans mesure.
abbaye-mozacLe texte est riche en mouvement, en action, et aussi dans l’utilisation des sens. Debout, les yeux larmoyants et ouverts, la bouche qui demande, cherche, questionne, interpelle, les oreilles attentives, le cœur chaud et maintenant les mains et les bras, des accolades interminables… l’expérience du Ressuscité passe par le corps tout entier.
C’est le temps des adieux… Il ne pouvait pas s’en aller sans la voir. Il était déjà sur le chemin du Père, mais auparavant il fallait venir sécher les larmes de celle qui pleurait… qui pleurait parce qu’elle aimait, et de toutes celles qui pleurent… Celles qui pleurent sur le corps de leurs proches disparus, dont les pleurs dénoncent les pouvoirs de mort et qui veulent rester debout, devant les tombeaux. Une présence de dénonciation, une présence qui annonce qu’il faut quelque chose de plus qu’attendre.
Mais il s’en va aussi pour l’envoyer fonder la communauté, pour former la famille de ses disciples. Être disciple ne consiste plus à aller, voir et suivre Jésus (Jn 1,38-39), mais à “rester debout”, fermement, aller fonder la famille, ou une communauté de frères et de sœurs qui assument courageusement la mission du Maître.[3] “Je vais vers mon Père qui est votre Père, vers mon Dieu qui est votre Dieu (20,17).” Des communautés qui croient en la vie et se battent pour elle. C’est cela la communauté des sœurs et des frères de Jésus.
Marie-Madeleine est allée leur porter la nouvelle. Le texte ne parle pas de joie, comme c’est le cas chez Matthieu (Mt 28,8). Mais ce n’est pas nécessaire. Nous pouvons imaginer l’éclat des yeux de cette femme et son empressement à leur dire ce qui est arrivé. Le mandat a été rempli. Le test, c’est la vie de l’église, des communautés chrétiennes. Nous sommes les filles de l’attente hors du tombeau, de l’amour et de la vie nouvelle dans le Christ. C’est la raison de notre espérance. La communauté chrétienne est née d’une annonce passionnée, l’annonce du Ressuscité. Elle est née des pleurs, mais aussi de la joie de la rencontre de celles qui attendent, obstinément. Vous, moi, les fils et les filles de l’obstination, de l’espérance.
Une communauté qui naît du sourire, qui ne se lasse pas de chercher, qui est capable jusqu’à la folie de croire à l’impossible. Voilà pourquoi nous sommes là, chrétiennes et chrétiens à continuer à aller de l’avant même quand tout le monde dit qu’il n’y a pas de chemin. Nous sommes en mesure de trouver des signes de vie, de continuer à chercher, à construire sur les décombres laissés par les adeptes du droit et de la doctrine. Nous nous joignons à tous ceux et celles qui croient, qui attendent debout, prêts à transformer les rêves en réalités.
… Dans le monde d’aujourd’hui, en Europe, en Amérique latine, nous vivons des moments de pleurs, de douleur, d’injustice… les personnes déplacées, les migrants, les paysans sans terre, les sans-abri, la violence et les guerres – guerres programmées, conflits éternels – Israël et la Palestine, des situations qui mettent au défi en permanence notre être chrétien.
Nous faisons partie de la communauté de Jésus, formée à partir de l’annonce passionnée de Marie Madeleine. Communauté qui témoigne de l’amour, qui se construit à partir de petits signes de vie dans la liberté et la résurrection. Nous pleurons et nous regardons, nous parlons et nous nous retournons pour voir, il faut que nous soyons attentifs et vigilants pour ne pas laisser passer sans la voir la présence de Celui qui vient sécher nos larmes et nous rassembler en communauté, en famille de frères et sœurs. Ces familles qui sont aussi variées que sont les diverses formes de l’expérience et de l’expression de l’amour. Nous sommes la famille de Jésus et nous formons la communauté d’amis qui donne une continuité à son projet. La communauté qui inscrit dans la réalité le ciel nouveau et la terre nouvelle; la communauté réconciliée, des femmes et des hommes avec des corps ressuscités, qui font leur travail en espérant transformer les rêves en réalités. C’est la communauté engagée, qui garde la fraîcheur de l’Esprit, l’Esprit de Jésus, c’est pour cela qu’elle est toujours vivante, qu’elle casse les structures. De cette nouvelle ecclésiologie découlant des marginalités naissent des communautés créatives qui réinterprètent l’évangile. Des communautés transgressantes qui ne se préoccupent pas de retrouver une place à l’ancienne table, mais de créer la fraternité avec les pauvres et les exclus. Des communautés diverses, qui au milieu des défis, des difficultés et des contradictions, vivent ici et maintenant, pour semer les graines du Règne dans une terre de liberté.

Silvia Regina DE LIMA SILVA

Lire l’exposé dans son intégralité :

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Tenter de trouver avec notre prochain un terrain commun d’humanité
« Puissions-nous en ces moments entendre l’invitation de Dieu à prendre soin de ce monde, à en faire, là où nous vivons, un monde plus chaleureux, plus humain, plus fraternel. Un temps de rencontre, avec des proches, des amis : un moment pour prendre le temps de vivre quelque chose ensemble. Un moment pour être attentif aux autres, quels qu’ils soient. Un temps de partage de notre amitié, de notre joie. [...] Un temps de prière, aussi : attentifs à ce qui se passera dans notre monde à ce moment- là. Prions pour ceux qui en ont le plus besoin, pour la paix, pour un meilleur vivre-ensemble. »
Père Jacques Hamel
dans le bulletin paroissial de l’église Saint-Étienne, en juin, avant son assassinat
La compassion est en train de quitter notre monde

" "A ceux qui se demandent quel sorte de manque ronge silencieusement nos sociétés, il faut répondre : la compassion. Cette sollicitude spontanée que les bouddhistes appellent la maitrise et qui est assez proche, au fond, de l'agapê des chrétiens.
Aujourd'hui, on a beau prendre la réalité contemporaine par tous les bouts, une évidence crève les yeux : la compassion est en train de quitter notre monde. A petits pas. Insidieusement. Or, avec la compassion, c'est le bonheur de vivre qui s'en va. Disons même la gaieté.
Nos rires deviennent tristes. Notre sérieux est navrant. Nos prudences sont moroses. Nos "fêtes" sont sans lendemain. Nos plaisirs sont boulimiques et plutôt enfantins. Tout se passe comme si la frénésie jouisseuse de l'époque cachait une sécheresse de cœur et une stérilité de l'esprit.
La gaieté véritable, celle que nous sommes en train de perdre, c'est celle de l'aube, des printemps, des projets. Elle se caractérise par une impatience du lendemain, par des rêves de fondation, par des curiosités ou des colères véritables : celles qui nous "engagent".
Cette vitalité joyeuse ne doit pas être abandonnée à la contrebande des amuseurs médiatiques ou des clowns politiciens."

Paroles partagées par Jean-Claude Guillebaud en conférence en 2015 à Briec-de-l'Odet (29).