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Pour Alain Touraine, le souverainisme haineux équivaut au djihadisme

4794887_6_0337_des-soldats-hongrois-a-la-frontiere-avec-la_fb9916206829f185378d3a1683a5ccabDans le journal « Le Mondes Idées », le sociologue Alain Touraine propose une réflexion sur l’Europe, l’accueil des migrants et appelle à un sursaut citoyen. Pour lui, il en va de l’avenir de notre continent. Une excellente réflexion avant les élections régionales de décembre

A la première crise qui l’atteint directement, l’Europe s’écroule. Une partie de ses pays membres refusent de participer aux décisions nécessaires et dans ceux, comme la France, qui acceptent de chercher une solution, les réactions sont loin d’être à la hauteur des événements. L’absence d’engagement et de générosité de ces pays est ressentie par les réfugiés eux-mêmes, qui sont si peu nombreux à demander à notre pays de les accueillir. Alors que moins de quatre millions de Libanais accueillent déjà plus d’un million de réfugiés, la France n’en finissait pas de préparer l’accueil de 24  000 d’entre eux sur deux ans.

Un motif majeur d’inquiétude pour l’Europe.
Une telle absence d’élan et de solidarité est si choquante, si contraire aux discours émouvants entendus depuis des décennies, qu’elle est certainement révélatrice d’une impuissance et d’une aboulie beaucoup plus générales et qui constituent par elles-mêmes un motif majeur d’inquiétude pour l’Europe, pour ses pays et pour la France en particulier, qui, dans un passé encore récent, avait su prendre des initiatives.

Nous sentons bien que les Allemands d’aujourd’hui ont été conduits à agir par leur volonté de prouver qu’ils ne devaient plus porter la condamnation des crimes commis par les générations antérieures. La France a tout récemment fortement contribué à renverser Kadhafi, mais, ensuite, elle ne s’est pas souciée des conséquences du vide d’Etat ainsi créé, elle qui avait assumé, après la première guerre mondiale, conjointement avec la Grande-Bretagne, la gestion des conséquences de la destruction de l’Empire ottoman.

Et, surtout, la France, qui n’a jamais mené un examen sincère de son comportement en Algérie, et de la crise extrêmement grave pour elle-même dont elle ne fut sauvée que par le général de Gaulle, peut-elle se satisfaire de se conduire moins mal que les pires de ses partenaires  ? Pour le dire brièvement, l’Europe peut-elle encore aspirer à être traitée et reconnue comme une grande puissance ou doit-elle se satisfaire de vivre dans la dépendance des Etats-Unis pour le meilleur ou pour le pire  ? Sommes-nous conscients que notre propre avenir est engagé dans cette crise qui n’est pas seulement humanitaire  ? Car notre absence d’action favorise dangereusement la montée d’un souverainisme qui porte tous les dangers lui donnant la définition réelle d’une extrême droite. Le danger est plus grave encore, car cette extrême droite déborde de beaucoup le Front national, a déjà conquis une grande partie de la droite et mord même sur la gauche et l’extrême gauche.

La violence et la honte
7729667-11963742Je n’élèverais pas le ton si je constatais seulement l’impuissance de la France à se maintenir à la hauteur de nos plus hauts moments de générosité. Je m’attristerais seulement que la crise économique et le chômage durable aient brisé la générosité du pays de Médecins sans frontières, de Médecins du monde, de la Cimade, du Secours catholique, d’Action contre la faim et du Secours populaire.

Mais la faiblesse de la France et de l’Europe doit nous inspirer de plus dramatiques inquiétudes. Je vois dans la montée du souverainisme défensif et haineux en Europe l’équivalence du djihadisme dans le monde arabo-musulman. Des deux côtés de la Méditerranée, on voit les effets de l’impuissance de certains Etats à faire face aux exigences politiques et économiques d’un monde globalisé.

Monde qui est en effet dominé par les nouveaux empires que sont le parti-Etat chinois, le califat sunnite, les héritiers chiites de Khomeyni et les Etats-Unis de George W. Bush et des idéologues néoconservateurs américains et anglais qui ont déclenché la guerre en Irak en 2003. Dans toutes les parties du monde qui se révèlent incapables d’être à la hauteur des problèmes d’un monde ouvert, les démocraties se réduisent d’abord à la prolifération des groupes d’intérêt avant de basculer dans des régimes militaires générateurs de violence. Ne devons-nous pas déjà nous inquiéter de ce que nous voyons et entendons en Hongrie et des discours qui se développent dans des pays aussi respectés que la Finlande, le Danemark ou… la France  ?

Cessons au moins de regarder, du haut de notre grandeur et de notre bonne conscience passées, les cadavres que la Méditerranée rejette sur les côtes de notre continent. La construction européenne fut une voie de salut et d’influence pour les pays d’un continent divisé et affaibli. Le moment est-il venu de renoncer à des ambitions que nous ne serions plus capables de nourrir et de descendre au niveau médiocre qui fut celui de l’Espagne royaliste du XIXe siècle et franquiste d’une grande partie du XXe  ?

Une telle chute nous plongerait non seulement dans le sous-développement, mais surtout dans la violence et la honte. Je demande que l’on entende mes paroles comme si elles étaient prononcées au lendemain des résultats probables des élections régionales de décembre. Ne serons-nous pas alors plus inquiets pour beaucoup d’entre nous, y compris dans le camp vainqueur, des conséquences du triomphe d’un nationalisme à la fois archaïque et agressif  ?

Une solidarité active avec les réfugiés
C’est de nous qu’il s’agit, dès maintenant. Une solidarité active avec les réfugiés et des initiatives qui imposent des solutions à l’échelle d’une vaste partie du monde doivent être les premiers pas sur la voie de notre propre redressement. Il est encore possible et dépend surtout de notre propre volonté et de notre capacité à prendre nos responsabilités et à mettre en œuvre des solutions à des problèmes maîtrisables.

La démonstration de notre impuissance et l’abandon de réfugiés qui se tournent vers l’Europe en lui demandant de se comporter en accord avec ses principes seraient des signes plus qu’inquiétants de notre absence de volonté réelle de résoudre les problèmes et d’utiliser les possibilités créées pour tous dans un monde ouvert.

Lire l’article sur le journal Le Monde
Alain Touraine est l’auteur de La Fin des sociétés (Seuil, 2013, 656 pages)

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Tenter de trouver avec notre prochain un terrain commun d’humanité
« Puissions-nous en ces moments entendre l’invitation de Dieu à prendre soin de ce monde, à en faire, là où nous vivons, un monde plus chaleureux, plus humain, plus fraternel. Un temps de rencontre, avec des proches, des amis : un moment pour prendre le temps de vivre quelque chose ensemble. Un moment pour être attentif aux autres, quels qu’ils soient. Un temps de partage de notre amitié, de notre joie. [...] Un temps de prière, aussi : attentifs à ce qui se passera dans notre monde à ce moment- là. Prions pour ceux qui en ont le plus besoin, pour la paix, pour un meilleur vivre-ensemble. »
Père Jacques Hamel
dans le bulletin paroissial de l’église Saint-Étienne, en juin, avant son assassinat
La compassion est en train de quitter notre monde

" "A ceux qui se demandent quel sorte de manque ronge silencieusement nos sociétés, il faut répondre : la compassion. Cette sollicitude spontanée que les bouddhistes appellent la maitrise et qui est assez proche, au fond, de l'agapê des chrétiens.
Aujourd'hui, on a beau prendre la réalité contemporaine par tous les bouts, une évidence crève les yeux : la compassion est en train de quitter notre monde. A petits pas. Insidieusement. Or, avec la compassion, c'est le bonheur de vivre qui s'en va. Disons même la gaieté.
Nos rires deviennent tristes. Notre sérieux est navrant. Nos prudences sont moroses. Nos "fêtes" sont sans lendemain. Nos plaisirs sont boulimiques et plutôt enfantins. Tout se passe comme si la frénésie jouisseuse de l'époque cachait une sécheresse de cœur et une stérilité de l'esprit.
La gaieté véritable, celle que nous sommes en train de perdre, c'est celle de l'aube, des printemps, des projets. Elle se caractérise par une impatience du lendemain, par des rêves de fondation, par des curiosités ou des colères véritables : celles qui nous "engagent".
Cette vitalité joyeuse ne doit pas être abandonnée à la contrebande des amuseurs médiatiques ou des clowns politiciens."

Paroles partagées par Jean-Claude Guillebaud en conférence en 2015 à Briec-de-l'Odet (29).