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Propos collatéraux sur la miséricorde

455120475-photoVoici une belle réflexion de François Cassingena-Trévédy, moine de Ligugé. Il est aussi théologien, émailleur, écrivain, poète et… pêcheur. Il est l’aumônier des marins pêcheurs du Croisic avec qui il partage des « marées ». Il est en particulier auteur de toute une série de livres « Etincelles ».
Son article est paru dans le revue Etudes de Septembre 2015. François nous invite à un travail d’appropriation de ce mot « miséricorde ». A méditer !


Une Année jubilaire de la Miséricorde s’annonce : elle s’est vu préfacée de façon très substantielle et prometteuse par le pape François dans la bulle d’indiction Misericordiae vultus du 11 avril 2015 ; nous la recevons déjà dans la joie comme une année de grâce et nous tâcherons de la mettre en oeuvre. Mais la mise en exergue universelle du mot, de la notion – bien davantage – du mystère, ne devrait-elle pas appeler de la part de chacun de nous, comme tout premier exercice jubilaire, un travail d’appropriation intelligente dont le caractère critique, voire paradoxal, loin de faire entendre avec humeur quelque fausse note, serve au contraire le dessein profond de cette année ? La richesse de la musique s’entretient du contraste des sonorités.
Il s’est dit depuis longtemps beaucoup de choses sur la miséricorde ; il s’en dira certainement beaucoup à l’avenir (la parole et la miséricorde – une certaine miséricorde – ont en général du faible l’une pour l’autre). Pourquoi ne pas dire, pour commencer, ce qu’elle n’est pas, et où elle n’a pas lieu d’être ? Pourquoi ne pas se risquer à dire – en se situant comme autre part, et dans un mouvement inédit de miséricorde – ce que d’autres, peut-être, ne diront pas, ce que d’autres n’auront ni l’idée ni l’audace de dire ?

La miséricorde est l’un des mots les plus spécifiques et les plus magnifiques de notre vocabulaire chrétien. L’un des plus longs, aussi. Les plus longs à écrire, à prononcer, à chanter, à méditer, à vivre. Le mot qui a, en sa source divine, la vie la plus longue : Car éternelle est sa miséricorde (Ps 135, 1) ; qui a, en son déroulement, l’histoire la plus longue : Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent (Lc 1, 50). Un mot en pente douce, mais d’une douceur dont Dieu seul a le secret et dont le dénivelé est aussi incalculable qu’indicible.
Misericorde-site Une pente douce, mais sans cette condescendance que nous imaginons et qui suppose toujours, dans la société foncièrement inégalitaire dont nous sommes complices et dont nous partageons les représentations schématiques, une espèce de superbe, une altitude qui se croit telle. Quoique nous le disions volontiers, en effet, en l’affublant de notre gymnastique de grands seigneurs penchés sur des manants, Dieu ne s’abaisse pas : la Miséricorde procède de l’Humble à l’humble, puisqu’il n’est de majesté véritable que celle de l’Humilié volontaire (Is 53 ; Ph 2, 6-10). Que si, à l’usage que nous en faisons – parfois jusqu’à l’usure –, le mot miséricorde éveille en nous quelque image de pente douce, cette douceur est trop souvent le résultat insignifiant de l’érosion : la miséricorde n’est plus alors qu’une faiblesse, une concession sans discernement, une indulgence aveuglément consentie à toutes sortes de médiocrité. Peu s’en faut qu’elle ne devienne l’appellation édifiante et vertueuse de la médiocrité même.
On ne pourrait évidemment attendre d’une célébration officielle de la miséricorde qu’elle se mue en canonisation du coulis affectif, en « mondial » d’une facilité du discours religieux, en garantie donnée à je ne sais quel droit universel à la médiocrité. Car la médiocrité – celle dont nous sommes personnellement capables et celle dont, par démission, nous laissons s’étendre autour de nous l’empire – n’appelle aucune miséricorde. Le mauvais goût religieux, l’à peu près théologique, la paresse devant un exercice intelligent et critique de l’acte de foi ne sauraient revendiquer aucune miséricorde.
On se prendrait dès lors à espérer, pour la suite, une année jubilaire (plus difficile et moins populaire, celle-là, sans doute) consacrée à l’exigence, cet autre nom de la vérité : exigence dont tout pédagogue sait bien qu’elle recouvre elle aussi, à long terme, une forme exquise de miséricorde. Exigence, très particulièrement, quant à la manière dont, pour nous mettre à jour, nous nous rendons compte à nous-même de notre foi et dont nous entrons en conférence avec le monde contemporain relativement aux choses de la foi. Sans qu’il estompe jamais, bien sûr, les grandes urgences humanitaires, sans qu’il anesthésie les grandes compassions qui doivent nous saisir, le travail exigeant de la vérité s’impose aujourd’hui à nous comme une oeuvre majeure de miséricorde, comme un véritable geste de tendresse à l’endroit d’un monde qui attend bien davantage que notre condescendance, si commodément et paresseusement déguisée sous les traits de celle que nous prêtons à Dieu.
Misericordia et veritas obviaverunt sibi, « miséricorde et vérité se rencontrent », dit le psaume quatre-vingt-quatrième, selon la teneur littérale de la Vulgate. C’est que, non pas assénée, mais recherchée en sympathie avec un monde dont se sait partager fraternellement l’indigence plénière, la vérité aussi a du coeur, ce coeur qui bat – ne l’oublions pas – dans le mot miséricorde, en l’arrachant tout ensemble à la froideur de la condescendance et à l’inertie de la médiocrité.

François Cassingena-Trévédy dans Etudes septembre 2015
voir un interview dans « Témoignage Chrétien »

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Tenter de trouver avec notre prochain un terrain commun d’humanité
« Puissions-nous en ces moments entendre l’invitation de Dieu à prendre soin de ce monde, à en faire, là où nous vivons, un monde plus chaleureux, plus humain, plus fraternel. Un temps de rencontre, avec des proches, des amis : un moment pour prendre le temps de vivre quelque chose ensemble. Un moment pour être attentif aux autres, quels qu’ils soient. Un temps de partage de notre amitié, de notre joie. [...] Un temps de prière, aussi : attentifs à ce qui se passera dans notre monde à ce moment- là. Prions pour ceux qui en ont le plus besoin, pour la paix, pour un meilleur vivre-ensemble. »
Père Jacques Hamel
dans le bulletin paroissial de l’église Saint-Étienne, en juin, avant son assassinat
La compassion est en train de quitter notre monde

" "A ceux qui se demandent quel sorte de manque ronge silencieusement nos sociétés, il faut répondre : la compassion. Cette sollicitude spontanée que les bouddhistes appellent la maitrise et qui est assez proche, au fond, de l'agapê des chrétiens.
Aujourd'hui, on a beau prendre la réalité contemporaine par tous les bouts, une évidence crève les yeux : la compassion est en train de quitter notre monde. A petits pas. Insidieusement. Or, avec la compassion, c'est le bonheur de vivre qui s'en va. Disons même la gaieté.
Nos rires deviennent tristes. Notre sérieux est navrant. Nos prudences sont moroses. Nos "fêtes" sont sans lendemain. Nos plaisirs sont boulimiques et plutôt enfantins. Tout se passe comme si la frénésie jouisseuse de l'époque cachait une sécheresse de cœur et une stérilité de l'esprit.
La gaieté véritable, celle que nous sommes en train de perdre, c'est celle de l'aube, des printemps, des projets. Elle se caractérise par une impatience du lendemain, par des rêves de fondation, par des curiosités ou des colères véritables : celles qui nous "engagent".
Cette vitalité joyeuse ne doit pas être abandonnée à la contrebande des amuseurs médiatiques ou des clowns politiciens."

Paroles partagées par Jean-Claude Guillebaud en conférence en 2015 à Briec-de-l'Odet (29).